Présenté en compétition au festival Dakar court, ce court métrage a reçu le prix Ababacar Samb Makharam du scénario et de la mise en scène. Après avoir travaillé sur le film et rédigé des articles critiques dans le cadre de l’atelier Talents courts critiques 2023, et en l’absence de la réalisatrice au festival, Sokhna Aïchatou Mbacke Ndiaye (Diourbel), Ouèlama Estelle Laeticia Sadongo (Burkina Faso) et Hawa Haby Thiam (Thiès) lui ont soumis des questions par courriel, auxquelles elle a bien voulu répondre.

Scénariste réalisatrice guadeloupéenne afro caribéenne, Anne Sophie Nanki, est née en Guadeloupe (Antilles). Ses parents ont déménagé en France métropolitaine quand elle avait cinq ans. Elle a à cœur aujourd’hui de représenter à l’écran, au cinéma des histoires peu racontées, oubliées délibérément ou non, les histoires des communautés afro-descendantes. En outre, avec une partenaire, elle prépare un scénario se déroulant à Kigali, une grande comédie romantique.

Comment êtes-vous venue à la réalisation ?

La réalisation est paradoxalement venue tard, il y a deux ans, pendant la deuxième vague de Covid où j’ai écrit Ici s’achève le monde connu, mon premier court métrage. Auparavant, j’écrivais des scénarios, par exemple A Genoux les gars qui était en sélection Un certain regard au festival de Cannes en 2018. J’ai également travaillé avec Raoul Peck les parties fiction de son docu-fiction Exterminez toutes les brutes qui a été diffusé sur Arte. J’ai aussi collaboré à des séries d’animation de jeunesse, etc.
Mais bien que mon désir de faire des films était là depuis l’âge de 7 ou 8 ans, je suis passée par une longue expérience de scénario que je ne regrette pas avant de franchir le pas et d’écrire cette première histoire que j’ai ressenti au plus profond de moi et qui avait le potentiel de me faire endurer tout le difficile chemin qu’il y a pour écrire un scénario, lui trouver un producteur, le financer, monter l’équipe, le tourner, le post-produire, le faire vivre en festival et le porter jusqu’à la sélection officielle des Césars 2024. Donc voilà, tout ça était en germe en moi mais le bourgeon n’a éclos qu’il y a deux voire trois ans. Encore une fois, je ne regrette rien puisque je sais bien écrire des scénarios et je pense que c’est ma grande force dans le cinéma.

D’où est venue l’idée de ce scénario?

L’idée du scénario est venue de deux voyages consécutifs que j’ai faits en 2020. Le premier au Mexique dans le Youkatan, une terre qui a la particularité d’être la terre des autochtones Maya, où l’on trouve des vestiges de temples, de forteresses, de cités en ruine, engloutis par la forêt vierge quasiment intacte : un voyage dans le temps passé mais aussi présent. Parce que la culture et la population Maya sont encore très vivaces, dynamiques et présentes. La valorisation de ce patrimoine autochtone maya m’a véritablement frappée. J’étais super contente que la politique culturelle patrimoniale du Mexique valorise une destination hyper-touristique: le patrimoine Maya.

Peu de temps après, j’ai fait un voyage avec mes parents en Guadeloupe où la présence amérindienne a laissé aussi des vestiges moins spectaculaires, qui ne sont pas aussi bien valorisés, transmis, préservés, représentés au cinéma, et je me suis dit que si je devais faire un seul film dans ma vie, ce serait un film qui écrit cette page de l’histoire, qui donne une image à ce visage qu’on a un peu oublié, ces Amérindiens qu’on appelle les Kalinagos, les civilisations autochtones des Caraïbes et aussi de la Guadeloupe.

C’est donc lié à vos origines ?

Oui, c’est nécessairement lié à mes origines, étant Guadeloupéenne. Le film est situé en 1645, une période où la présence amérindienne et la présence de captifs africains esclavagisés est très forte. Je voulais raconter les luttes des autochtones amérindiens et des marrons africains contre l’envahisseur européen. Une histoire de solidarité, d’amitié, avec des amours nés de leur rencontre. Nous sommes les héritiers de ces mariages, de ces « Adam et Ève ».

Quels obstacles avez-vous rencontrés pour le faire ?

Les obstacles ont été multiples. Le scénario faisait vingt-neuf pages. C’était beaucoup trop long, car nous n’avions pas assez de budget pour avoir les jours de tournage correspondants. Il a donc fallu en couper un tiers. Ensuite, nous avons eu des problèmes de maquillage. Les cicatrices du jeune homme avaient été mal conçues. Nous avons dû faire appel au dernier moment à une maquilleuse spécialiste des effets spéciaux. On ne les voit donc que tard dans le film, ce qui était au début très stressant mais au final a permis d’être beaucoup plus subtil, beaucoup moins voyeuriste. On ne les découvre qu’à la fin alors que j’avais écrit une scène où on les découvre au début, ce qui constituait tout un drame !

Il y a eu aussi le problème du temps. Car on a tourné en janvier, à la fin de la période cyclonique, donc de la saison des pluies : il pleuvait très souvent. Et comme nous tournions en forêt, il nous fallait tout ranger à chaque fois, mettre en sécurité le bébé, les acteurs, le matériel. Beaucoup de temps perdu ! Quant au soleil, il tournait vite. Ce qui faisait des journées de travail extrêmement courtes !
Mais ce que nous tirons de ces difficultés c’est qu’elles nous ont forcés à trouver des solutions avec les moyens du bord, être créatif, rebondir sans perdre de vue l’histoire que nous voulions raconter.

Comment s’est fait le choix des acteurs et du lieu de tournage ?

Les deux acteurs, Lauriane Alamé-Jaouari et Christian Tafanier, sont deux acteurs de Guyane française, de l’Ouest guyanais, où la présence autochtone amérindienne et la présence marronne est très forte. Cela faisait vraiment sens d’aller dans l’Ouest du Maroni passer un mois avec le directeur de casting, Sabal Marveniam, et trouver les acteurs qui pourraient avoir la solidité suffisante.

Il fallait qu’ils parlent la langue du film, le Bushinengue Tongo ou les langues Nengue Tongo. Je ne voulais surtout pas qu’en 1645, on parle le français. Cela aurait été parfaitement anachronique, en dehors des colons. Les personnages ne pouvaient pas non plus parler un créole moderne qui n’existait pas encore. Il existait en fait à l’époque un proto-créole, dont on trouve des traces dans les nombreuses archives que j’ai pu consulter. Mais cette langue n’a pas été archivée, enregistrée, si bien qu’on n’en a que des bribes.

Dans un premier temps, j’ai pensé à faire appel à une linguiste qui aurait été en mesure de reconstituer cette langue à partir des petits fragments présents dans les archives, mais cela aurait été trop onéreux pour le budget du film. Et cela aurait été difficile pour des acteurs non professionnels de jouer dans une langue qu’ils ne parlent pas, que d’ailleurs personne ne parle. Il se trouve que les Bushinengis Tongos sont des langues très intéressantes, nées au XVIe siècle sur les plantations néerlandaises et anglaises du Suriname et de Guyane. Elles étaient parlées par les Amérindiens réduits en esclavage et par les Africains eux aussi esclavagisés, tous deux travaillant sur les mêmes plantations. Ces communautés ont finalement réussi à obtenir des traités d’indépendance avec les puissances coloniales anglaises et néerlandaises et ont pu quitter les plantations et refluer pour vivre au nord du fleuve Maroni en toute autonomie. Ils ont continué de vivre côte à côte et ces langues qui, au départ, étaient un petit peu différentes, sont devenues inter intelligibles.

En fait, les deux acteurs parlent des langues Nengi Tongo différentes. Elle parle le Sarana Tongo, qui a une base néerlandaise. Lui parle le Loko Tongo, qui a une base anglaise. Mais ils se comprennent parce que les deux langues ont grandi ensemble au gré des alliances matrimoniales, commerciales, militaires aussi : bien que des traités d’autonomie et d’indépendance aient été signés avec les puissances coloniales, des miliciens faisaient des rafles pour voler des hommes et des femmes à vendre !

Concernant le lieu du tournage, la Guadeloupe est une destination touristique assez connue. Il fallait des lieux qui ne feraient pas carte postale. Avec ma directrice de la photographie, nous avons pris soin qu’ils ne soient pas reconnaissables. La rivière où ils se rencontrent et la plage sont des lieux fréquentés par les touristes, mais nous avons voulu donner l’impression d’une terre vierge, non encore foulée par les colons européens.

Comment pensez-vous distribuer le film ?

C’est une histoire universelle, une histoire d’émancipation, d’aliénation, mais aussi de conquête de liberté, où deux personnages brisent les chaînes physiques et dans leur tête. C’est donc une histoire tout simplement humaine qui résonne dans les territoires victimes de conquêtes coloniales mais aussi qui résonne avec le présent.
Moi, en tant que femme d’aujourd’hui, les questions d’aliénation, les questions de s’affranchir du monde des oppresseurs, c’est un travail perpétuel, de tous les jours. Le film a voyagé partout, sur tous les continents : je suis hyper contente parce que c’est la preuve que cette histoire est universelle.

Pensez-vous à une suite ?

Oui, oui très tôt après le bouclage du court métrage, je me suis attelée à l’écriture et l’adaptation en long métrage de cette histoire. Au bout de deux ans, le court métrage arrive en fin de carrière, et le scénario du long est achevé. Avec mon agent, nous cherchons le bon producteur, la bonne productrice qui pourra nous accompagner sur le développement du film car c’est un projet ambitieux.

Propos recueillis par
Sokhna Aïchatou Mbacké Ndiaye (Diourbel), Ouèlama Estelle Laeticia Sadongo (Burkina Faso) et Hawa Haby Thiam (Thiès)

www.africine.orge

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