un film de Angela Wanjiku WAMAI, 2022, Kenya

L’enfant est le père de l’homme, affirmait William Wordsworth dans son poème intitulé  » the Rainbow « . Le poète anglais révélait ainsi le lien étroit qui existe entre la personnalité d’un adulte et les activités et habitudes développées tout au long de son enfance. Ce n’est pas Angela Wanjiku Wamai qui démentirait cela. À travers son long métrage Shimoni, elle dépeint la psychologie d’un enseignant d’anglais, repris de justice.

Geoffrey, puisqu’il s’agit de lui, est contraint de vivre à Shimoni, un village où il a vécu autrefois et qui évoque en lui des souvenirs tristes et lourds : il y a été victime d’abus sexuels. Ceci expliquerait-il les violences conjugales qu’il manifeste dans son foyer et qui ont conduit au décès de sa femme ? Geoffrey, incarné par Justin Mirichii, est un homme au visage serré, qui ne sourit presque jamais.

En outre, la dimension spirituelle de ce film démontre la volonté de la réalisatrice de présenter l’église comme un exutoire, un lieu où l’on peut refugier tout le monde, surtout les parias, car personne ne voulait de Geoffrey, même pas sa famille. Geoffrey est « accepté » à Shimoni tant que le secret de sa présence dans cette campagne n’est pas connu. Une fois que le prêtre dévoile les raisons de sa présence, les mêmes qui hier récitaient les versets bibliques tels que « ne jugez point, afin que vous ne soyez jugés » et « tu aimeras ton prochain comme toi-même » ne veulent plus de lui, ni même le sentir. Ils crient au scandale et veulent le voir décamper. Les chrétiens ne croiraient-ils plus en la repentance ou en la rémission des péchés ? Ces concepts seraient-ils juste livresques et utiles lorsqu’il faut se dédouaner et condamner les autres ? Ironiquement, le seul qui ne condamne pas Geoffrey est un musulman. Même s’il faut voir en cela une exaltation du dialogue interreligieux, la compassion du menuisier musulman à l’endroit de Geoffrey sous-entend que l’humanisme, l’amour et l’empathie sont des valeurs propres aux êtres humains en dépit de leurs divergences.

Par ailleurs, le choix des langues n’est pas anodin: l’anglais et le swahili sont les langues usitées ici. Le swahili est parlé par tout le monde, tandis-que l’anglais n’est parlé que par une poignée de personnes : celles qui sont allées à l’école ou qui ont un certain niveau social. Ce joli tableau vise à montrer la dualité entre le coté moderne et le traditionnel, avec une prédominance sur le traditionnel parce que Shimoni est un village. Les langues nous renseignent également sur la nationalité de la réalisatrice, car au Kenya, les langues officielles sont le swahili et l’anglais. Shimoni – qui signifie « la fosse » en swahili – est révélateur du gouffre dans lequel Geoffrey se trouve.

Que dire de la prépondérance de la nuit dans Shimoni ? La nuit est le symbole par excellence de l’obscurantisme, du mal, du noir. Plusieurs scènes se déroulent dans la nuit. Le spectre du mal règne dans ce lieu noir. L’acteur principal, quoique peu loquace, pote en lui la lourdeur et les traumatismes liés aux sévices sexuels subis naguère. Ce secret dûment gardé par son frère ainé et lui refait surface lorsqu’il revoit son bourreau Weru, incarné par Daniel Njoroge. « I hate you so much, I hate you » (« je te déteste tellement, je te déteste »), sont les propos que Geoffrey tiendra à l’endroit de Weru pendant qu’ils se bagarrent. Ce sera probablement la seule « thérapie » à laquelle Geoffrey aura droit pour exprimer enfin son ressenti et apaiser son âme et son être.

Qui a tué Geoffrey ? Pourquoi le tuer ? Qu’est-ce qui le tue ? Est-ce la dureté de ses « frères » chrétiens ? Est-ce le silence face à ses maux ? Est-ce le regard accusateur des autres ? Geoffrey meurt et même si de son vivant, il ne vivait plus, sa mort apparait comme la fin tragique d’un héros. Que de Geoffrey avons-nous tué !

Christelle NKOU

1 COMMENTAIRE

AJOUTER UN COMMENTAIRE ANONYME

Votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici