Les couleurs du Sénégal ont illuminé la compétition du Festival de Cannes 2023, grâce au premier film de Ramata-Toulaye Sy. Banel et Adama est une histoire d’amour tragique et ouverte, une production française avec l’apport du Sénégal et la participation du Mali. La réalisatrice jette un pont entre les cultures pour une fiction universaliste, plantée au Sénégal d’où sont originaires ses parents, tournée en pulaar.
Née à Bezons, en banlieue parisienne, Ramata-Toulaye Sy est sortie diplômée de la Femis où elle a conçu le scénario de Banel et Adama dès 2015. Nourrie de littérature, elle collabore à des scripts tel Sibel pour Guillaume Giovanetti et Cagla Zencirci, ou Notre-Dame du Nil de Atiq Rahimi. Mais le Covid et son isolement la poussent à écrire et réaliser son premier film court, Astel, 2021, tourné au Nord du Sénégal. Les récompenses glanées l’encouragent ensuite à reprendre Banel et Adama pour explorer son désir d’émancipation féminine.
Le film s’attache au sort d’un couple d’amoureux : Banel, 18 ans, passionnée et rebelle, aime Adama, 19 ans, réservé et sérieux. Ils veulent vivre à l’écart de leurs familles pour préserver et cultiver leur amour. Mais quand Adama, en tant que futur chef, refuse d’accomplir son devoir de sang, leur avenir est compromis. Le village s’alarme de leur mise à l’écart pour construire leur maison. Malick, le petit talibé, observe Adama et surtout Banel comme une métaphore de sa culpabilité. Autour d’eux, la sécheresse grandit et la terre s’appauvrit. Il y a des victimes.
L’histoire valorise le tempérament décidé de Banel. « Je me suis inspirée des grandes héroïnes tragiques comme Médée, Phèdre, Antigone tout en puisant dans la littérature américaine« , confie Ramata-Toulaye Sy qui s’est projetée dans ce personnage frondeur, capable de pouvoirs négatifs comme une sorcière, en ajoutant : « J’ai compris que toute la folie de Banel, c’était moi. » En face, Adama répond en fonction de sa situation de futur chef, pénétré de sa position dans le village, tempéré par son penchant pour Banel.
« Je me sens proche du sens de la responsabilité d’Adama. Je viens d’une famille très traditionnelle, et j’ai ce sens de l’ordre, et de la famille« , déclare la réalisatrice. « Adama, c’est celui qui sauve, qui s’occupe de sa famille. Et c’était aussi l’occasion pour moi d’évoquer la dépression chez l’homme en Afrique tout en déconstruisant les préjugés sur ce continent« . A travers une relation amoureuse intense, Ramatou-Toulaye Sy propose de revaloriser la puissance des traditions mais aussi la vie d’un village reculé dans les terres profondes, au Fouta.
C’est un territoire où la passion se déploie comme une flamme brûlante, et peut-être menaçante. « C’était important de la filmer au Sénégal afin de mettre en lumière le cinéma africain et rendre hommage à mes racines sénégalaises en tournant en langue peule« , estime la cinéaste. L’environnement, marqué par la sécheresse qui gagne le continent, sert de cadre mais aussi d’écho à la tragédie qui se noue comme l’indique la réalisatrice : « Dans l’histoire le climat est lié à la malédiction, à cette relation qui cause le mal, selon les villageois« .
Cette évolution se traduit par un changement de style revendiqué par Ramata-Toulaye Sy, soucieuse de soigner ses cadres : « Au début, le film enchaîne les plans façon carte postale avant que tout ne se brise. L’image devient rude et terne, la sécheresse entraîne petit à petit la mort des animaux et des hommes. » L’intensité des scènes qui culminent vers le drame, est exacerbée par les acteurs non professionnels que la réalisatrice a préparé et dirigé dans la campagne, au cœur du Fouta.
Khady Mané interprète Banel, la fougueuse, et Mamadou Diallo campe Adama, le réfléchi. L’utilisation de couleurs vives et symboliques pour les costumes, renforce la dimension mythique du récit qui puise son sens dans les contes sénégalais. La famille de Banel est vêtue en vert, couleur de l’islam, Adama et les siens sont en bleu comme le fleuve près duquel ils vivent. Les tenues jaunes et solaires de Banel expriment sa passion, sa démesure. Des couleurs dont l’éclat s’altère progressivement parallèlement à la sécheresse qui s’accentue.
Ces effets de style sont élaborés par la réalisatrice à l’aide de filtres et d’un étalonnage pointilleux. Mais Ramata-Toulaye Sy refuse de clore sa tragédie sur une issue fatale, en affirmant : « La scène de fin est pour moi une vraie renaissance, un renouveau pour toutes les femmes et pour ce monde. » Il s’agit donc de célébrer la force de résistance des femmes à travers un récit bien construit où les sentiments l’emportent.
« C’est avant tout une histoire d’amour universelle, un conte qui touche tout le monde et pas seulement les Africains« , assure Ramata-Toulaye Sy, amplifiant son propos avec la partition sonore signifiante de Bachar Mar-Khalifé. L’accueil international du film conforte l’ambition de la réalisatrice franco-sénégalaise qui s’enflamme : « J’avais envie de raconter la plus grande et plus belle histoire d’amour africaine« .
Sources: www.africine.org