Le célébrissime musicien, chef d’orchestre de la Fania All Stars, est décédé le 15 février 2021. Avec son label Fania, il fut un des grands prêtres de la salsa, et de son rayonnement dans le monde — et singulièrement en Afrique.
Le jeune Juan Azarios Pacheco, né en 1935 en République dominicaine, ne se doutait certainement pas qu’il deviendrait l’un des inventeurs de cette musique hybride qui allait révolutionner les musiques latines dont elle était une synthèse aussi géniale que moderne, la salsa. Débarqué à l’âge de onze ans à New York, élève de la Julliard School of Music, il fonde au tournant des années 60 l’orchestre Pacheco y su Charanga, dont il est le flûtiste et leader.
Dans le creuset new-yorkais se croisent les diasporas de toute l’Amérique latine, qui – s’étant frottées à la soul et au funk des Afro-Américains, s’apprêtent à donner naissance à la salsa, un nouveau terme pour un nouveau genre dont le label Fania, que Pacheco fonde en 1964 avec Jerry Masucci, sera le fer de lance. C’est aussi, après le succès de « Soul Makossa » qui propulsa Manu Dibango sur la scène de l’Apollo Theater, que Pacheco décide d’embarquer le saxophoniste camerounais alors en pleine bourre pour une tournée avec la Fania All Stars, dont une partie a été publiée sur disque et dont il existe encore quelques images. Manu aimait d’ailleurs raconter pour expliquer son succès américain que si les Noirs-Américains étaient en quête de leurs racines africaines, il en allait de même pour les artistes du Spanish Harlem (un quartier de Manhattan devenu le fief des Portoricains et de la diaspora latino).
En Afrique, si les doyens du Trio Matamoros, Beny More et surtout l’Orquesta Aragon avaient bercé et même lancé en musique toute une génération d’artistes, ceux-là mêmes qui créeront les premiers grands orchestres dits « jazz » du tournant des indépendances, la « sauce » que proposaient Pacheco et sa bande : Ray Barretto, Willie Colon, Hector Lavoe, Celia Cruz… allait relancer l’engouement des musiques afro-latines sur le Continent. En réunissant des rythmes afro-cubains, les cuivres brillants des Portoricains, le groove funk et les voix soul, la salsa du label Fania et de son all-stars était une fusion parfaite des héritages de la diaspora atlantique. Et comme toute l’Afrique atlantique était fan de musique « afro-cubaine » autant que de James Brown, de Dakar à Kinshasa en passant par Bamako ou Abidjan, la salsa ne pouvait qu’y faire fureur.
Il suffit de revoir quelques extraits du fameux concert Zaïre 74, où la Fania était invitée, pour vérifier la folie que déclenchait cet orchestre devenu mythique, dont Pacheco était le cerveau, la flûte, mais aussi les pieds – car l’homme était grand danseur (de rumba, en particulier). Dans le film Soul Power (réalisation Jeff Levy-Hinte, 2008), on le voit diriger avec frénésie l’orchestre tandis que la « Gracia divina » Celia Cruz chante « Quimbara », mais aussi jammer dans l’avion qui mène les artistes au Zaïre ou encore, au marché de Kinshasa, se lancer dans une frénétique impro avec des percussionnistes congolais (autant d’instantanés musicaux qui figurent sur le disque Fania All Stars Live in Africa).
Son aura était telle qu’à Abidjan, où la Fania s’est produite, les chemises à col « pelle à tarte » portaient le nom de « Pacheco », rappelant le style qu’affectionnait le flûtiste.
À n’en pas douter, Johnny Pacheco était et restera une divinité du panthéon des musiciens chers au cœur et aux oreilles des Africains.
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