Le jury international du prix Orange du Livre, présidé par Véronique Tadjo, a dévoilé mardi 2 juin, le choix du lauréat du Prix Orange du Livre 2020. Il s’agit de l’écrivain Youssouf Amine Elalamy pour C’est beau, la guerre. Une fiction bouleversante sur les ravages de la guerre parue en 2019 aux éditions marocaines Le Fennec, puis en France au Diable Vauvert. L’opportunité de revenir sur un prix littéraire qui commence à faire son nom.
Lancé en octobre 2019 par la Fondation Orange avec le soutien de l’Institut Français, le Prix Orange du Livre Afrique (POLA) récompense chaque année un roman écrit en français par un écrivain du Continent, publié l’année précédant le concours par une maison d’édition basée en Afrique. Cette année, une première sélection a été faite sur place par des comités de lecture en Tunisie, au Sénégal, au Cameroun, en Guinée, en Côte d’Ivoire et au Mali qui avaient retenu six livres. Dans un second temps, cette sélection a été soumise à un jury international, composé de Djaïli Amadou Amal, lauréate de la première édition du Prix Orange du Livre Afrique (Cameroun), Yvan Amar (France), Kidi Bebey (France), Yahia Belaskri (Algérie), Eugène Ebodé (Cameroun), Valérie Marin La Meslée (France), Nicolas Michel (France), Gabriel Mwènè Okoundji (Congo) et Mariama Ndoye (Sénégal). Trente-huit romans concouraient, envoyés par vingt-huit maisons d’édition basées dans quatorze pays du Continent. Une condition sine qua non pour la Fondation Orange comme le rappelle Françoise Cosson, Directrice déléguée générale de la Fondation, qui a souhaité maintenir le prix cette année, en dépit du Covid-19. En attendant la remise officielle du prix, c’est donc par visioconférence que le jury s’est réuni le 2 juin, afin de décerner son prix à Youssouf Amine Elalamy.
C’est beau, la guerre
C’est beau la guerre est le dixième roman de Youssouf Amine Elalamy qui avait déjà été parmi les finalistes du Prix Orange du Livre Afrique l’an passé pour Même pas mort ( Le Fennec, 2018 ), dans lequel il faisait revivre, d’une écriture sensible et mélancolique, son père disparu.
C’est beau, la guerre est également un hommage aux morts. Sa couverture, qui représente un angelot armé d’une kalachnikov sur un fond rouge sang, annonce la couleur et l’ironie du titre. Un jeune comédien embarque sur un rafiot, contraint à l’exil, chassé de son pays par une guerre fratricide. Placé dans un camp de réfugiés, le narrateur y découvre que toutes les femmes qui l’entourent ont perdu un être cher dans le conflit. Il décide alors de rendre visite à ces femmes, en se servant de son métier de comédien pour faire revivre leurs défunts et les aider à surmonter le deuil. Ce n’est pas la première fois que Youssouf Amine Elalamy aborde les problématiques de l’exil. Le roman polyphonique Les Clandestins (Eddif, 2000) traduit en sept langues et prix Atlas 2001, racontait déjà la traversée tragique de 17 personnages fuyant leur pays. Écrire sur les tragédies de la guerre lui est, affirme-t-il, indispensable. « Je voulais écrire sur les guerres et leurs conséquences humaines. Les destins de ces personnes contraintes à l’exil me bouleversent. C’est presque une thérapie pour moi d’écrire sur ce sujet ».
C’est beau, la guerre est un livre émouvant et fin, dans lequel « la terreur règne et l’espoir n’existe plus » selon Véronique Tadjo qui pourtant, affirme-t-elle, « n’assomme pas le lecteur et montre malgré tout qu’une résilience est possible ». Parmi les autres membres du jury, Yvan Amar salue également l’écriture de ce roman dont l’auteur a su, dit-il « s’emparer d’un sujet d’actualité pour en faire une vraie fiction tout en abordant la thématique de la « grosse aventure » si prégnante en Afrique ».
Exclusivement africain
Pendant africain du Prix Orange du Livre, le Prix Orange du Livre Afrique remettra à Youssouf Amine Elalamy une dotation de 10 000 euros. Il bénéficiera entre autres également d’une importante campagne de promotion et de diffusion de son roman. En effet, selon Françoise Cosson, « il est important de mettre à l’honneur les talents africains de la même façon qu’on le fait en France avec le Prix Orange du Livre, en faisant bénéficier les auteurs de notre visibilité, notamment en les invitant dans des festivals comme celui des Étonnants voyageurs et en parlant d’eux sur notre site Lecteurs.com (qui comptabilise 220 000 abonnés) ».
Plus largement, le Prix Orange du Livre Afrique a également mission de valoriser l’édition africaine. Une belle initiative qui refuse de « se substituer aux maisons d’édition africaines. Tout en veillant à ce que les droits des livres restent africains, y compris lorsqu’ils sont ensuite publiés en France », affirme Françoise Cosson. Cela a été le cas l’an passé pour Les larmes de la patience de Djaïli Amadou Amal. Initialement publié aux éditions Proximité (Cameroun), le roman a été ensuite publié simultanément par huit maisons d’éditions dans d’autres pays et est, depuis mars 2020, distribué dans neuf pays d’Afrique francophone.
Une préoccupation également essentielle pour la présidente du jury Véronique Tadjo. « Nous essayons de cibler le lectorat africain. Ce prix est important pour moi car je me préoccupe beaucoup de l’avenir francophone en Afrique. J’aimerais que le livre ait un bel avenir sur le Continent. On ne peut parler de développement sans passer par la lecture », affirme-t-elle. Une opportunité, selon elle Véronique Tadjo de reconnaître le travail d’un éditeur et d’impulser ses exigences à d’autres professionnels du Continent, notamment celle d’un « travail éditorial sérieux avec les auteurs ». Mettre en avant des livres qui touchent le lectorat africain, avec des problématiques qui le concernent et une littérature de qualité donc. Tout en faisant découvrir aux lecteurs européens des auteurs ancrés dans leurs territoires.
Une attention de la Fondation Orange à laquelle Youssouf Amine Elalamy se dit quant à lui également très sensible. « Les auteurs de nos pays ne sont représentés en Occident que par les auteurs qui vivent en Europe. Même s’ils abordent des thèmes qui concernent l’Afrique et que leurs histoires s’y déroulent, je suis persuadé que ce n’est pas la même sensibilité que lorsque l’on vit sur le Continent ».
Marjorie Bertin